Penser la smart city : data management, open data et libertés

Juil 21, 2021 | Tendances

Introduction

Depuis son apparition il y a une dizaine d’années, le concept de smart city a occupé de nombreux débats, sans que l’on dispose toujours d’une définition exacte de ce qu’il recouvre.

Optimisation des infrastructures, environnement, data management, libertés et open data : découvrez leur regard à la fois pragmatique et stratégique sur le développement de ce nouveau modèle urbain.

Décryptage de la table ronde smart city organisée par Top Management France avec Alexandre Missoffe – Directeur Général de Paris Île-de-France Capitale Economique, Robin Rivaton – investisseur, essayiste et chroniqueur et Abdelaziz Joudar – Président de DataValue Consulting.

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1. Définition de la smart city

Comme le précise Alexandre Missoffe, le concept de smart city consiste à rendre les villes ou les collectivités territoriales attractives et compétitives, à travers plusieurs aspects :

  • Optimiser la qualité de vie,
  • Construire des infrastructures plus rapidement et moins cher,
  • Favoriser les équilibres sociaux et économiques,
  • Minorer l’impact environnemental et préserver la sécurité.

D’après lui, la mise en œuvre d’une smart city repose sur la capacité d’une collectivité à collecter, exploiter, valoriser et partager la data pour développer de nouveaux services et usages.

Robin Rivaton, investisseur et essayiste français spécialisé dans les sujets de la smart city, de l’immobilier et des nouvelles technologies, propose une définition de la smart city qui s’articule autour de trois axes.

1.1 La modernisation et le développement des flux et des réseaux

Il s’agit de la capacité d’une collectivité à optimiser la gestion des flux (électricité, eau, énergies de chauffage, circulation, transports, déchets, etc.)

En somme, tous les flux entrants et sortants nécessaires au bon fonctionnement d’une ville auxquels s’ajoutent les réseaux de télécommunication (fibre optique, wifi, LoRa, 4G et demain 5G).

Ces questions sont jusqu’à présent traitées par les autorités locales et des opérateurs privés importants ou historiques dont la France compte plusieurs leaders mondiaux (Veolia, Suez, Orange, SFR, etc.)

1.2 La création de nouveaux services pour les usagers

Les nouvelles technologies permettent aujourd’hui de développer un espace urbain « augmenté » enrichi de nouveaux services pour les usagers.

Logistique du dernier kilomètre, mobilités vertes, micro-mobilités (type trottinette électrique), multi-modalité des transports, coliving (partage de bâtiment avec des usages communs), les usages sont nombreux. Ces sujets sont d’ailleurs souvent adressés par des startups innovantes.

Les appels à projets concernant la micro-mobilité au sein de la ville de Paris en 2020, avec un concours qui a retenu seulement 3 opérateurs sur une fourniture de service par trottinette électrique, en constituent un bon exemple.

1.3 L’émergence de la « safe city »

On observe depuis quelques années une volonté de mesure et de régulation des flux de personnes qui a engagé le déploiement d’un panel de technologies de vidéo-surveillance, de captation de l’image, de collecte de la donnée et de traitement algorithmique.

Le concept de safe city regroupe donc l’ensemble de ces outils et méthodes. Les cadres réglementaires varient selon les pays et les continents mais la safe city constitue une variante de la smart city, en tout cas l’une de ses sous-composantes.

Les cas d’applications sont nombreux. Ils peuvent intégrer les technologies de vidéo-surveillance, d’Intelligence Artificielle ou de reconnaissance faciale (repérage du détenteur d’un bagage abandonné, surveillance temps réel dans les transports de certains profils tels que les fugitifs, fichés S ou mineurs isolés, etc.)

1.4 « Hardware » et « software » : une vision complémentaire 

Pour compléter la définition de Robin Rivaton, Alexandre Missoffe propose une double grille de lecture de la smart city :

  • Le volet « Hardware » de la smart city : celui du bâti, des infrastructures et qui a pour objectif de construire mieux, moins cher, plus rapidement tout en minimisant l’impact environnemental. La résolution de cet enjeu majeur trouve un appui important dans le recours, aujourd’hui généralisé, aux technologies de Building Information Modelling (BIM).
  • Le volet « software » qui touche aux usages : applications de transports, multi-modalités des transports, réseaux et systèmes de video-surveillance, etc.

De par les échanges entre les grandes métropoles du monde, la France dispose d’une importante vitrine pour le rayonnement de ses savoir-faire en matière de ville durable. De très nombreuses entreprises sont concernées, notamment des leaders mondiaux des infrastructures ou services de type smart city.

La France doit intégrer l’équation de la technologie dans la manière de construire des villes, y compris dans la gestion des aspects sanitaires ; aspects qui peuvent aujourd’hui impacter l’activité des métropoles comme la crise du COVID-19 l’a démontré.

2. Le rôle de la data dans la smart city

Si la technologie n’est pas à même d’apporter une réponse claire sur ce en quoi elle représente un atout, elle risque d’être perçue comme un gadget et pas comme une solution.

Alexandre Missoffe – Directeur Général Paris Île-de-France Capitale Économique

La dimension technologique, perçue ou réelle, est fortement associée à la notion de smart city. Quel est donc l’apport de la data ?

Abdelaziz Joudar, Président du cabinet de conseil DataValue Consulting, nous rappelle que la data est la matière première de toute initiative dite « smart » et que les cas d’usage sont déjà nombreux.

Il y a 5 ou 6 ans ont commencé à être déployés les compteurs Linky, en parallèle des maisons connectées, héritées de la domotique et aujourd’hui motorisées par les produits Google Home qui contrôlent ou mesurent énormément d’items via différents IOT (luminaires, serrures, tv, chauffage, volets etc.)

Idem pour les smart building, qui sont le cœur du système d’information de villes comme Dubaï ou Singapour. Ces immeubles connectés analysent des indicateurs supplémentaires comme les taux d’occupation ou de passage, l’aération, le débit du réseau internet, etc.

Ces maisons connectées et smart building sont eux-mêmes connectés à des réseaux beaucoup plus puissants qui régulent par exemple la production d’énergie en fonction des données reçues.

Ce réseau électrique va ensuite être interconnecté à de nombreux autres dispositifs urbains. C’est là que réside la force de la smart city : les cas d’usages, apportent plus de valeur ajoutée lorsqu’ils sont étendus à d’autres réseaux.

La donnée joue donc ce rôle aujourd’hui. Le système d’information d’une ville intelligente va collecter la donnée à travers de nombreux réseaux, notamment la 5G. La data qui provient par exemple du volet électrique d’un smart building, de l’état de la circulation routière ou du réseau de tramway doivent interagir pour apporter de la valeur. En bout de chaîne, les algorithmes et l’IA apportent des insights permettant aux collectivités d’explorer de nouveaux axes de développement.

L’interconnexion des réseaux, le croisement et la corrélation des flux de données sont donc des facteurs clés de succès pour rendre un système d’information performant.

Les conditions de réussites de ce système pour les collectivités locales sont assez nombreuses, mais la clé de voûte se trouve dans la gouvernance des données : tout d’abord à l’échelle des collectivités mais aussi et surtout à l’échelle de l’Etat qui apportera davantage de valeur tout en sécurisant les sujets sensibles comme le traitement des données personnelles.

Abdelaziz Joudar – Président DataValue Consulting

3. Doit-on choisir entre libertés et exploitation de la data ?

 3.1 Data et transparence : une conduite du changement

Ce débat est souvent mené dans les médias par des militants ayant un point de vue polarisé, même si cela est le plus souvent dû à des préoccupations légitimes, étant donné les fuites ou accidents industriels récents liés à la donnée (Sony, LinkedIn, Netflix, Facebook avec Cambridge Analytica).

Récemment, le plus marquant d’entre eux est sûrement le piratage des données personnelles de 220 millions de citoyens brésiliens en janvier 2021. On pense aussi aux effrayantes pratiques de surveillance et de notation de la population dans diverses mégalopoles chinoises.

L’exigence de transparence de l’information doit donc être garantie par l’opérateur public. Il est cependant paradoxal de constater que les échecs sont toujours gravement jugés lorsqu’ils proviennent de l’état ou de l’opérateur public alors que, vis-à-vis des opérateurs privés, l’opinion publique est beaucoup plus laxiste.

FaceApp, l’application de vieillissement du visage, constitue un excellent exemple : le côté divertissant et la performance technologique de l’application n’ont suscité que très peu d’interrogations quant à l’utilisation des données collectées. Ce sont maintenant des millions de visages qui sont enregistrés et monnayables par les créateurs de l’application. FaceApp n’est hélas qu’un exemple parmi une multitude d’autre.

Pour Abdelaziz Joudar, la réponse se trouve dans une large conduite du changement qui doit être menée auprès du public ainsi qu’une acculturation des agents du public. Il faut prendre le temps d’expliquer les choses en amont de la mise en place du cas d’usage ou du projet public afin de pouvoir mettre correctement en avant l’apport de valeur et les avantages dont vont bénéficier les usagers ou la collectivité.

3.2 Le concept de self data

On voit apparaître différentes d’initiatives dans un grand nombre de villes européennes, particulièrement celles du nord, qui gravitent autour du concept de self data.

L’opérateur public prend à sa charge la mise à disposition d’une plateforme de gestion et d’administration des données personnelles avec tous les citoyens qui souhaitent adhérer au projet. Avec le self data, c’est le citoyen ou le consommateur lui-même qui administre ses données : il peut moduler le détail des informations personnelles qu’il met à la disposition de la collectivité, d’une entreprise ou bien les supprimer totalement s’il craint des dérives.

Ces initiatives permettent d’apaiser le climat sensible autour de la protection des données personnelles et à en briser la gestion unilatérale.

3.3 Data et libertés

Du côté de l’opérateur public, l’anonymisation d’un certain nombre de données est indispensable pour éviter des dérives, notamment lorsqu’il s’agit de données de santé, particulièrement sensibles en France. C’est pourquoi la certification HDS (Hébergement de Données de Santé) va apaiser le climat pour avancer sur des cas d’usage porteurs de valeur.

Selon Robin Rivaton, c’est en effet devant ces réticences que le confinement généralisé a été appliqué en France pendant la crise du COVID-19, une majorité de citoyens refusant d’être « pistés ».

En Asie, (Chine, Vietnam, Corée du Sud, etc) la méthode « Tester – tracer – isoler » a été beaucoup plus utilisée, en particulier dans les grandes métropoles, avec des résultats plus rapides et plus efficients en matière de contrôle de l’épidémie. Au bout du compte, il y a davantage de privations de liberté (circulation, vie sociale, économique, culturelle) avec les mesures de confinement qu’avec des applications de type TousAntiCovid. Certes la donnée peut fuiter, il peut y avoir des erreurs mais au final, les coûts (inscription à une application, caméras de surveillance, faux positifs, faux négatifs) sont inférieurs aux bénéfices.

4. Smart City : les défis de l’open data

Le Premier ministre Jean Castex a signé en avril dernier une circulaire gouvernementale imposant aux ministères un programme d’action pour l’ouverture des données publiques, des algorithmes et des codes sources. On y lit que « la politique de la donnée doit constituer une priorité stratégique de l’Etat dans ses relations avec tous ses partenaires, notamment les collectivités locales et les acteurs privés« .

Cette initiative nécessite une gouvernance de la donnée claire et pérenne :

  • Qui collecte les données publiques ?
  • Qui les stocke ?
  • Pour quelle durée ?
  • Pour quel cas d’usage ?
  • Quelles conclusions en tirer ?
  • Pour quelles actions ?
  • Etc.

Il y a certes un cadre posé par cette circulaire mais quid d’un CDO central et national dont le rôle est de croiser, contrôler et analyser les données récoltées par les CDO de chaque ministère ?

Il y a une différence entre la collecte de la donnée et l’usage de la donnée, que ce soit au niveau de l’état ou des collectivités locales.

La question se pose du côté de la puissance publique, en l’occurrence l’opérateur qui est tenu par la région : a-t-on intérêt à avoir un monopole sur la data que l’on met ensuite à disposition de l’ensemble des utilisateurs pour ne pas se retrouver avec des utilisateurs qui ont 23 applications différentes, un manque de performances et des opérateurs qui ne voudront pas partager leur data ?

Alexandre Missoffe – Directeur Général Paris Île-de-France Capitale Économique

L’enjeu des pouvoirs public consiste donc d’abord à garantir la qualité de l’information mais aussi et surtout à sanctionner les mauvais usages, tout en organisant et régulant pour éviter des phénomènes de concentration plus ou moins spontané entre les acteurs. L’objectif étant d’éviter des situations de quasi-monopole où le détenteur des données en capacité de gérer les flux aurait également le monopole sur les informations qu’il y place.

Il y a donc un niveau de transparence de l’information et de garantie de la crédibilité de l’information qui sera davantage exigé par l’utilisateur pour fonder son choix.

Depuis pratiquement 2 ans nous avons assisté à une ré-accélération des cas d’usage sur toutes les communes supérieures à 250-300 000 habitants. Il y a une vraie montée en puissance et une vraie prise de conscience par les élus de l’optimisation des performances publiques par la data.

Abdelaziz Joudar – Président DataValue Consulting

La COVID-19 a accéléré beaucoup de choses, tout en révélant une fracture numérique encore bien réelle chez les citoyens. C’est ce que beaucoup de communes ont essayé de solutionner dans les premiers mois du confinement.

5. La smart city, une transformation engagée

Les enjeux de la smart city reflètent finalement les enjeux sociétaux du moment mais au-delà des concepts, comment mesurer les avancées ou le retour d’expérience d’une vie en smart city, ou en tout cas d’une smart city en devenir ?

Si la ville 100% intelligente tient davantage du mythe que de la réalité, certaines villes ont déjà engagé leur transformation depuis plusieurs années.

L’on peut citer quelques championnes françaises du genre :

  • Nantes avec 1,5 millions de connexions mensuelles sur le portail open data de Nantes Métropole.
  • Lille qui réalise 20 à 30% d’économies sur la consommation finale de l’eau, grâce à un réseaux d’assainissement et de chauffage auto-régulé.
  • Le Grand Paris qui exploite les technologies BIM dans la construction du Grand Paris Express
  • Dijon avec son parc de 205 véhicules géolocalisés
  • Toulouse Métropole avec 267 716 citoyens testeurs pour le projet Smart City
  • Montpellier avec 2500 d’éoliennes entre la ville et le littoral

En considération de tous les enjeux évoqués et des exemples de ces différentes villes, concilier humain et technologie devient une nécessité.

Les usagers doivent être au cœur de cette restructuration car ce sont eux qui profitent des bénéfices mais ce sont aussi qui en sont à l’origine. Les villes, pour continuer d’être attractives, se voudront durables, attractives, coopératives, inclusives, servicielles et intelligentes.

 

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